Plus petites et souvent plus flexibles que les grandes entreprises, les PME et les startups ne cessent d’être citées en exemples de foyers d’innovations managériales. Quand de telles innovations sont évoquées, il faut également soulever la question suivante : comment un dirigeant de PME ou de startup arrive-t-il à communiquer le changement ?
De multiple discours, écrits et autres conseils en management font l’apologie des meilleures pratiques à travers lesquelles les stratèges devraient communiquer le changement. Trop rarement, ces conseils proposent aux entrepreneurs et dirigeants d’oser aller au-delà de la « communication du changement » pour l’expliquer et surtout convaincre les collaborateurs de son importance et, finalement, les guider dans leurs actions quotidiennes. Concrètement, il s’agit de mobiliser les ressources non verbales pour matérialiser le changement, le rendre tangible pour tout un chacun. Ainsi, comment la matérialité peut-elle contribuer à l’innovation, au changement et finalement à la stratégie ?
Le terme de matérialité est ici synonyme d’outils de gestion et d’architecture de l’espace de travail : bureaux, casiers, tableaux d’affichage, cartes… bref tout ce qui renvoie à l’espace physique des collaborateurs. Bien sûr, de tels outils sont déjà présents dans nos entreprises, mais comment peuvent-ils contribuer au changement stratégique ? Et au-delà des entrepreneurs et dirigeants, qui, jour après jour, est le plus à même de l’organiser et de lui donner du sens ?
Matérialiser la stratégie
Dans l’environnement complexe et incertain qui caractérise notre économie, la stratégie ne peut plus être gérée et disséminée par le seul PDG. Ainsi, elle doit être façonnée par les actions des managers qui jouent alors un rôle de relai mais surtout de traducteur au niveau opérationnel des objectifs stratégiques.
Les dirigeants d’entreprises savent que le temps est une ressource rare. Peu d’entre eux réussissent à être omniprésents pour vérifier que tout se passe bien et régler les problèmes en direct. La mise en place et le management de la matérialité par ceux qui sont sur le terrain contribuent à la compréhension du personnel et aident à transformer la pensée stratégique en réalité opérationnelle tangible. Par conséquent, pour la personne à la tête d’un PME ou d’une startup, cela implique une ouverture d’esprit envers leurs managers intermédiaires, qui agissent alors en véritables stratèges.
La relation entre le monde social et le monde physique dans lequel les collaborateurs travaillent s’avère capital pour la réussite d’une stratégie. En créant des espaces nouveaux, des structures et des formes physiques, le management intermédiaire réussit à matérialiser la stratégie globale de son PDG. L’accomplissement de leurs tâches quotidiennes permet aux employés de s’approprier la matérialité dont la présence renforce la stratégie élaborée en lui donnant du sens. Par exemple, le rapprochement physique d’entités ou la création de « lieux-carrefours » peuvent permettre de faciliter les échanges entre différents services. Ainsi, une entreprise qui souhaite créer plus de transversalité devra certainement repenser la répartition physique de ses équipes dans les locaux.
Repenser l’agencement des bureaux
En (re)pensant le design des espaces de travail, PDG et managers cadres doivent être conscients qu’ils conçoivent des supports qui disent quelque chose par rapport à la stratégie, les valeurs et les comportements attendus. Ils produisent alors un monde physique qui peut être lu par le personnel. Ainsi, une stratégie visant à davantage d’initiative, d’innovation, de transversalité, ou une meilleurs prise en charge des conditions de travail des salariés, pourra se matérialiser de multiples façons : open-spaces habités de managers et de salariés de différents services, espaces de réunion modulables en fonction du nombre de personnes concernées, mobiliers modernes et conviviales, salles de sport et de détente, etc.
Également, il n’est pas rare non plus d’observer dans des services de backoffice mettant en place des stratégies d’orientation client, des actions de matérialisation de ces derniers qui sont physiquement absents. Ainsi, afficher le taux d’accessibilité téléphonique en temps réels – vert lorsque tout va bien et rouge pour signifier une prise de conscience collective –, ou créer des indicateurs de suivi de la durée nécessaire à l’ouverture de nouveaux comptes clients ou de réponses à leurs demandes, constituent autant de matérialisation de la nouvelle stratégie orientant les comportements des équipes.
En guidant la lecture et l’écriture de la matérialité, les managers de proximité deviennent des acteurs clés contributeurs à la stratégie. Leur approche a une plus forte chance de convenir aux employés avec qui ils sont en contact rapproché. Ils peuvent ainsi identifier non seulement la bonne façon de faire, mais également la bonne façon de vérifier la mise en place des changements détaillés dans le plan stratégique. De tels dispositifs améliorent l’efficacité opérationnelle en produisant une plus grande cohérence entre les objectifs stratégiques et le sens que les collaborateurs donnent à leur travail.
Au final, au-delà des compétences discursives des dirigeants et de leurs managers, la capacité de ces derniers à donner du sens au changement et à l’innovation en les matérialisant dans l’environnement physique de leurs collaborateurs devient une compétence clé. En prenant la voie de la matérialité, PME et startups peuvent engendrer le soutien des employés pour l’avenir de l’entreprise tout en transformant la façon dont le travail est fait, à condition toutefois de veiller à ne pas créer de contradictions !
Source : NICOLAS ARNAUD ET THIBAUT BARDON